dimanche 30 septembre 2007

Les bâtisseurs de l'homme - réfléxion sur Parachat Béréchit


« Et D. dit : faisons l’homme… » Fâcheux pluriel ! D. ne serait-il plus seul créateur exclusif ? En s’exprimant ainsi, à qui s’adresse-t-il ? Qui est donc impliqué dans la genèse de l’homme et pourquoi ?


C’est avec la plus grande fermeté que les sages d’Israël ont toujours réfuté les lectures « dualistes » des premiers mots de la Torah. Songez qu’une telle dérive donne libre cours aux interprétations les plus farfelues ( les élohims comme êtres suprêmes venus d’ailleurs pour concevoir l’homme en laboratoire…selon les raëliens.) « Faisons l’homme », que de noblesse dans cette tournure ! Alors justement, voyons…
Nah’manide ( XIIè siècle ) et beaucoup d’autres considèrent que le Verbe s’adresse ici à la création tout entière. L’homme est une création inédite, une créature unique en son genre. Issu des mondes supérieurs et inférieurs, il est la jonction d’une âme céleste et d’un corps terrestre. En lui, et en lui seulement, les deux dimensions se confondent. Pour cela, pour mieux contraindre ces deux mondes que rien ne pousse à s’unir (au contraire), D. dit «faisons». Et puis, si l’homme est en passe de régner sur le monde existant, encore faut-il que ce dernier l’admette. Consultation ou coercition ? Comme on voudra. Le fait est que cela devrait aller mieux en le disant.
L’humilité des grands
Rappelons ici la très fameuse leçon de morale qui justifie à elle seule la tournure plurielle de l’injonction. D. sollicite des êtres ô combien inférieurs à Lui pour créer l’homme. Cette marque d’humilité paraît, au vu du Sujet, parfaitement déplacée. Pourtant, elle est pour nous l’exemple absolu. D’ailleurs « quiconque est orgueilleux est un idolâtre. » Le défaut de modestie implique un rejet de notre lecture traditionnelle et revient à l’adjonction d’un créateur bis.
Pour Rav Chimchon Rafaël Hirsch, père de l’orthodoxie moderne, c’est la terre qui est seule concernée par «faisons Adam». D. l’interpelle par cette Mitsva spécifique : soumets-toi à l’homme! En effet, ce dernier est la seule créature dont le nom soit formulé avant même d’être conçu. Cela signifie que Adam ne vient pas de Adama-la terre en hébreu. C’est précisément le contraire : Adama est dérivé de Adam. Ce n’est pas la terre qui donne son nom à l’homme qu’elle a produit (poussière) mais l’homme qui donne son nom à la terre qui le porte. Mais alors d’où vient le mot Adam ? Réponse du Rav Hirsch : du mot HaDoM- support, socle («La terre support de ses pieds »). L’homme est le socle de la présence divine dans ce monde. C’est pourquoi la terre est instamment priée de se soumettre à cette créature exceptionnelle investie d’une mission si prestigieuse.
L’enfant-Roi du monde
Pour aller plus loin, le Malbim, grand exégète du siècle dernier, fait observer que l’ordre de la genèse obéit à une certaine hiérarchie où les éléments partant de la terre sont impliqués dans ceux, plus élevés, qui leur succèdent. Par exemple, le minéral, essentiellement rattaché à la terre, participe à l’épanouissement du végétal. Ensuite, les plantes plus directement nutritives émanent de cette végétation et les arbres s’érigent en maîtres parmi ces plantes. Remarque : plus ils sont élevés dans les échelons de la création, plus les éléments sont sophistiqués et nécessitent pour se développer un plus lourd investissement. Aucun effort ou presque pour le minéral, alors que les céréales doivent être semées et les arbres plantés. Puis l’homme paraît, au-dessus de l’animal. Plus globalement, les principes du minéral se retrouvent dans le végétal, ceux du végétal dans le règne animal et ceux de l’animal dans le genre humain. Autre observation : plus ses principes se rapprochent de ceux de la terre, plus l’élément est fort et stable. Physiquement, le minéral paraît moins vulnérable que le végétal et l’animal moins que l’homme. Mais au comble de la faiblesse, au plus loin de la matière, il y a l’esprit. Etant ainsi le plus faible et le plus représentatif de la création, l’homme est son meilleur substrat. Tout autant que l’esprit ou l’âme dont il est doté, c’est sa position au sommet de l’échelle des éléments qui fait de lui une créature ultime. En résumé, comme l’écrit Abravanel, la création émane de D. et elle retourne vers D. à travers l’homme.
Association de bienfaiteurs
« Faisons l’homme à notre image et selon notre apparence » L’enseignement h’assidique voit aussi une invitation faite à l’homme lui-même. Comme si D. sommait : aidez-moi à bâtir l’humain qui est en vous. Comment ? En veillant sur le Tselem (tsalmenou- notre image), sorte d’emprunte initiale que D. inscrit dans nos traits. Or, Le terme Tselem -image- est construit sur le mot Tsel- l’ombre. Comme si, dans la représentation de la Torah, vivre à l’ombre du divin, c’était porter sur son corps et dans sa chair la marque du projet divin. Voilà le fondement d’une part « non négligeable » des lois du judaïsme : la ressemblance avec D. (Demout) ne relève pas que de l’esprit, la quête du divin ne saurait être qu’intellectuelle.
Dans la septante, les 70 Rabbanim traducteurs séquestrés par Ptolémée reproduisent l’injonction divine ainsi : « Je vais faire l’homme avec une image et une apparence. » En cherchant à couper l’herbe sous les pieds des exégètes mal intentionnés, les sages ont, semble-t-il, volontairement escamoté les idées fortes contenues dans cet article. Tselem, devoirs du corps, suprématie et singularité de l’homme porté par le monde…une lecture sans doute trop juive de l’idéal humaine.

D’après Hagout beparachiot haTorah Réflexions sur les sections de la Torah de Yéhouda Nah’choni. Bné Braq